4 mai 2023 : Journée d’études sur les onomatopées comme problème de frontières et de linguistique générale
Les onomatopées comme problème de frontières et de linguistique générale
ou comment joindre le geste (phonétique & graphique) à la parole
4 mai 2023 : Affiche PRINT-Onomatopées_Partie1
programme : Affiche PRINT-Onomatopées_Partie2 (1)
Cette journée d’études s’intéressera à ces petits mots, de prime abord marginaux
– décrits pourtant dès 35 ap. J.-C par Quintilien – qui ne constituent pas une classe à part entière
dans la grammaire traditionnelle. Ils sont en effet régulièrement associés aux interjections sans
être véritablement différenciés parce que la limite est parfois ténue. Ainsi, pour l’espagnol, Ja
(souvent répété trois fois et parfois décliné sous différents timbres vocaliques, jo, jo, jo ; ji, ji,
ji…)1 , défini dans le dictionnaire de la RAE (Real Academia Española) comme une interjection
servant à exprimer la moquerie, l’incrédulité… fait également office d’onomatopée permettant
de restituer le bruit du rire.
Les onomatopées posent ainsi d’abord un problème d’identification, de frontière, et se
situent en réalité à la croisée d’une problématique linguistique complexe et multiple.
Elles sont en effet pour le linguiste l’incarnation du signe linguistique par excellence et
ce, dans toute sa plénitude (signifiant2/ signifié, selon la dichotomie saussurienne), dès lors
qu’elles illustrent la sempiternelle thématique de l’arbitraire et de la motivation, c’est-à-dire de
la relation, analogique ou pas, entre les deux versants du signe.
Les onomatopées sont censées reproduire, imiter un bruit d’origine diverse (humaine ou
pas) ce qui les imbrique dans la problématique du phonosymbolisme, de la subjectivité et de la
créativité lexicale (tant elle est immense en l’espèce) selon ce que les bruits nous disent. Ce qui
les place ipso facto sous le signe de la variatio et les range dans des paradigmes ouverts où la
dimension énonciative et contextuelle est fondamentale pour la saisie du sens. L’onomatopée
pose donc également le problème de la relativité du langage puisqu’on observe qu’un même
son/bruit issu du monde phénoménal peut être restitué et transcrit de différentes manières selon
les langues (le chien fait par exemple guau en espagnol mais ouaf ou wouaff wouaff en
français…)3 . Ce qui est alors en jeu est le complexe processus de sémiotisation mis en œuvre
dans la manière de dire et de reproduire quelque chose selon le prisme de la phonétique
perceptive et le filtre phonologique propre à chaque langue. Cela sera ainsi l’occasion de voir
si l’approche submorphémique permet de mieux apprécier la part d’iconicité qui les structure,
et dans quelle proportion, en vue d’un éventuel établissement d’une typologie matricielle par
catégories de bruits et ce, interlangue et translinguistique, puisqu’on ne pourra pas échapper à
l’épineux problème de leur traduction.
On l’aura compris, il s’agit d’essayer de saisir et de mieux comprendre les mécanismes
qui constituent et conforment les onomatopées ce qui confronte également aux problèmes de
leur origine et de leur étymologie sur lesquelles les dictionnaires sont le plus souvent silencieux
au point d’en faire de petits mots « orphelins »4, proches des mots expressifs (creaciones
expresivas). Ainsi, à propos du mot perro en espagnol à l’origine incertaine (équivalent de
« chien » en français), Corominas émet l’hypothèse qu’il peut s’agir d’une « création
expressive », peut-être fondée sur le terme prrr, brrr, avec lequel les bergers excitaient les
chiens pour rabattre le troupeau. L’approche synchronique ou diachronique peut donc changer
le regard que l’on porte sur ces petits mots dans la mesure où il peut parfois s’opérer un
glissement sémantique à partir d’une base onomatopéique qui débouche sur un délocutif synchronique5
au point que certaines sont tellement rentrées dans le lexique et l’usage qu’on n’est plus ou moins sensible à leur caractère imitatif (comme tictac où la lexicalisation a eu raison du blanc typographique et du tiret).
M. Grammont affirmait qu’« un mot n’est une onomatopée qu’à condition d’être senti
comme tel. »6 Cette journée d’études, consacrée à des langues non apparentées, sera l’occasion
de méditer en profondeur tous les présupposés d’un tel propos, pour voir si le problème qu’elles
posent est aussi simple ou plutôt ce que recèle cette simplicité apparente.
1 https://www.rae.es/espanol-al-dia/como-se-escribe-la-onomatopeya-de-la-risa-en-espanol
2 Avec de surcroît un signifiant phonique et graphique actifs dans la production du sens.
3 https://www.elconfidencial.com/alma-corazon-vida/2021-05-21/ladran-perros-diferentes-idiomas_3088376/
4 Pour reprendre le terme de Simona Georgescu, La regularidad en el cambio semántico (las onomatopeyas en
cuanto centros de expansión en las lenguas románicas), Editions de linguistique et de philologie, Strasbourg,
2021.
5 C’est à E. Benveniste que l’on doit le terme et la notion de « délocutivité » et pour l’usage qui en est fait par
rapport aux onomatopées, voir l’article de J.-C. Anscombre, « Onomatopées, délocutivité et autres blablas », Revue
romane, 20, 2, 1985, p. 169-206.
6 Traité de phonétique, A. Colin, Paris, 1933, p. 396.