Réseau international Non Fiction. Vers une autre écriture du réel.
Réseau international Non Fiction. Vers une autre écriture du réel.
International Non fiction novel network
Voir le calendrier prévisionnel 2020 2020:
RAPPORT DE SYNTHÈSE DU WORKSHOP NON FICTION
L’objectif de ce rapport de synthèse est de rendre compte des principaux thèmes abordés par les participants à l’Atelier de Travail sur la Non Fiction organisé les 12 et 13 décembre 2019 à l’Université d’Aix Marseille dans le cadre des travaux de recherche de l’Axe Roman Policier du CAER, et de son programme “Les territoires de la Non Fiction”. Ce rapport de synthèse est organisé en trois parties correspondant aux trois séances de travail de l’Atelier en question.
Réflexion théorique: un genre ou une modalité d’écriture?
Formes et limites du genre
La réflexion sur la Non Fiction menée par les participants à l’Atelier de Travail a surtout mis en avant l’étendu et la complexité de la question. De quoi parle-t-on lorsque l’on se réfère à la Non Fiction? S’agit-il d’un genre à part entière ou bien d’une modalité d’écriture, pas trop éloigné du “réalisme”?
Depuis quelques décennies, dans les littératures contemporaines, on peut constater une prolifération des formes d’écriture non fictionnelles. Un phénomène qui n’est peut-être pas sans lien avec celui connu par les écritures policières qui, elles aussi, à partir des années 1970 témoignent d’une multiplication des formes du polar et du noir en articulation avec l’histoire et la mémoire. Mais il faut reconnaître que la tension entre réalité et fiction, entre histoire et imagination a toujours été au centre de toute création humaine, constituant l’un des ressorts les plus forts dans la caractérisation des mouvements et canons esthétiques.
Non fiction : un genre ou une modalité
Les échanges des intervenants se sont orientés vers une conception de la Non fiction comme une forme d’écriture (ou des formes d’écritures) plutôt que comme un genre. Mais d’autres avis se sont aussi manifestés, favorables à considérer la Non Fiction comme un genre historiquement déterminé. Il s’agirait d’une forme d’écriture (ou d’un genre) qui se caractérise par le croisement de genres, d’une part, et par son rapport avec le pouvoir d’autre part. Le croisement se manifeste, par exemple, entre la littérature et le journalisme, le témoignage, le polar, la littérature de la migration ou bien les écritures de soi. Ou encore, il est possible de constater une contamination entre les médias et la littérature. Ces croisements mettent en évidence la diversité des écritures de la non fiction et par conséquence la difficulté de caractériser ces écritures non fictionnelles comme un genre spécifique.
Non fiction, pouvoir et contre-pouvoir
Le rapport des écritures non fictionnelles avec le pouvoir présente à son tour deux cas de figures. En effet, dans un premier temps, les écritures non fictionnelles s’inscrivent de préférence dans les discours contre-hégémoniques, dans une perspective de permettre l’émergence des voix et des vies souvent oubliées des subalternes. Or, les échanges ont aussi montré que la non fiction a également été récupérée par le pouvoir dominant. Ce qui met en évidence l’usage politique et idéologique auquel peuvent être soumises ces formes d’écritures.
Non fiction, fiction et réalité
La réflexion sur la nature de la non fiction a conduit inéluctablement à se poser la question sur ce qu’est la réalité. D’autant plus que les intervenants ont remarqué qu’il est possible de retrouver de la fiction dans la non fiction et inversement de la non fiction dans la fiction. En plus, il a été reconnu que la fiction ne peut pas s’exclure de la non fiction, et qu’entre fiction et non fiction s’instaure finalement une relation dialectique, ou même une sorte de continuité. Ce qui souligne davantage la complexité de proposer une définition conceptuelle de la non fiction. Néanmoins, il a été reconnu que ce qui permet de caractériser ces écritures fictionnelles est bien le pacte référentiel. C’est-à-dire le contrat passé entre l’auteur et le lecteur qui met l’accent sur la convocation dans le texte de faits réels, même si la véracité du récit peut (doit) être questionnée dans le processus de réception. S’il n’est pas toujours évident de déterminer ce qui est factuel et ce qui est fictionnel dans un récit ; si l’hybridation caractérise nombre de productions et si donc les frontières sont poreuses, il n’est toutefois pas possible de faire abstraction de ces frontières.
Limites chronologiques
D’autre part, les interventions ont mis en relief la présence d’écritures non fictionnelles dans plusieurs périodes historiques ; elles se retrouveraient en effet dans pratiquement toutes les périodes de l’histoire littéraire des différentes traditions culturelles (Europe, Amérique latine). L’ampleur de la production non fictionnelle a conduit les participants à considérer le besoin d’une délimitation temporelle pour notre projet de recherche. Ainsi, les différentes interventions ont abouti à la proposition d’un cadre temporel, un point de départ des recherches : les années 1960. Cette période trouve un consensus dans la mesure où elle se justifie autant pour la tradition historique et littéraire italienne que latino-américaine : l’attentat de la Piazza Fontana à Milan (1969) et le massacre de Tlatelolco à Mexico (1968) ont marqué un tournant de l’histoire des deux pays mais aussi dans la prise de conscience de l’intérêt d’un traitement littéraire de la réalité politique. Ce choix chronologique n’exclut pas que l’on puisse être amené à remonter dans le temps et à prendre en considération les antécédents de cette forme d’écriture.
Limites géographiques et nationales
Les recherches sur la Non Fiction vont se centrer dans un premier temps sur les traditions littéraires de l’aire romane, en particulier sur les formes non fictionnelles de l’Italie et de l’Amérique latine. Cependant, le projet est ouvert aux autres traditions culturelles et littéraires de l’aire romane : France, Espagne, Portugal. Dans un deuxième temps, il est déjà envisagé d’étendre le périmètre géographique et de solliciter la participation de chercheurs de la littérature des Etats-Unis, de l’aire asiatique, d’Europe et de la Russie. Cet élargissement géographique pourra se réaliser au fur est à mesure que le projet se consolidera et se développera.
Les supports
Quant aux supports des écritures non fictionnelles qui seront objets d’études, le choix s’est porté en particulier sur les différentes formes de récits (romans, nouvelles, enquêtes journalistiques, témoignages, chroniques, docu-fictions). Les échanges ont aussi passé en revue la présence du réel dans des genres littéraires tels que la poésie ou le théâtre, considérés traditionnellement plus proches de la fiction ou de la subjectivité. Le projet envisage donc aussi l’analyse de textes poétiques et de théâtre. Un projet comme celui-ci ne pourra pas faire l’économie de l’étude de la production cinématographique et documentaire, de la photographie et de la Bande dessinée. Un effort particulier sera donc fait pour convoquer des spécialistes des études sur les arts du visuel.
Question sur le journalisme
Les réflexions exprimées au cours de cette séance ont touché la question du journalisme, la littérature et la non fiction. Il a été évoqué le scepticisme d’une importante partie de la société à l’endroit de l’univers des médias, dont la construction et diffusion de l’information sont perçues de plus en plus comme fortement dépendante des consortiums des grandes concentrations d ‘entreprises de communication et de l’industrie culturelle. Les manipulations de la réalité et des informations, ainsi que les faits passés sous silence ou évincés par les médias, constituent sans aucun doute des impulsions au développement de la non fiction dans son côté de moyen de dévoilement des vérités cachées et oubliées. Dans ce sens, il a été proposé la possibilité de se pencher sur l’analyse des enquêtes journalistiques (« nuevo periodismo narrativo ») comme l’un des moyens de poids de lutte contre les fake news.
Non fiction, faits divers et crime
Afin de mieux définir le périmètre du projet, les participants ont considéré qu’il conviendrait de s’intéresser aux thèmes qui apparaissent désormais classiques des récits de non fiction tels que les faits divers d’un côté et le crime politique de l’autre. En effet, ces deux thématiques constituent le cœur des textes non fictionnels qui tentent, souvent en utilisant les stratégies propres des enquêtes policières, de percer les non dits, les faits détournés ou escamotés de la violence et des crimes d’Etat, des pouvoirs politique et économique, du monde quotidien, qu’ils concernent le passé récent ou des époques plus reculées.
Publications, corpus, numérisation et humanités numériques
Des actions concrètes ont été évoquées lors de la première journée pour prévoir dès maintenant la réalisation d’actes qui consolident le projet et lui confèrent son identité. Des publications : le réseau compte avec des directeurs de revues et des responsables de collections ou en tout cas des chercheurs ayant un lien directe avec des maisons d’éditions. Il sera donc aisé de prévoir des publications qui diffusent le résultat des recherches menées par le réseau. Une première proposition a été faite pour la publication d’un ouvrage collectif présentant les 10/20 ouvrages majeurs de la non fiction dans les différentes traditions littéraires. La délimitation et la caractérisation du corpus de la non fiction dans l’aire romane constituent une ligne indispensable à la consolidation du projet. Dans le cadre du développement croissant des Humanités numériques, des domaines novateurs comme par exemple celui de la numérisation a été évoqué. On a évoqué le projet de numérisation possible de la collection papier du quotidien milanais La Notte (acquis par l’Università Statale de Milan) et on a fait référence à l’exemple de la numérisation des archives de la police du Guatemala comme support de la rédaction d’un ouvrage majeur de la non fiction latino-américaine (El material humano de Rodrigo Rey Rosa). Cette typologie de projets numériques pourra se révéler cruciale pour caractériser le projet et obtenir l’intérêt des instances qui décident de l’attribution d’un financement, au niveau national ou européen.
La suite
Un deuxième ordre de débat s’est fait jour suite à la journée de débats sur les questions théoriques : quel projet lancer et comment le financer. L’idée originaire a été partagée par tous, soit de penser à une série de manifestations qui se succèdent à un rythme assez soutenu dans les différents centres associés au projet. Le calendrier 2020 que vous trouverez dans les pages suivantes est déjà la preuve de l’intérêt suscité par la thématique. Tous les participants ont par des nuances différentes reconnu cette explosion des écritures de non fiction à partir des années 60/70 dans les pays de langue romane, et au-delà. En tant qu’objet scientifique, la non fiction semble à tous justifier le développement d’un chantier productif de la recherche sur les formes d’écriture contemporaines.
Un Séminaire itinérant va démarrer donc à Paris le 3 avril, se poursuivra à Grenoble à la rentrée 2020/2021, suivi par un 3e séminaire au printemps 2021 à Aix-en-Provence. Le principe du séminaire est de prévoir systématiquement une session scientifique thématique ainsi qu’une séance de travail dont la finalité serait de fixer les contours et les objectifs du projet. D’autres initiatives sont d’ores et déjà programmées : un Panel non fiction à l’intérieur du festival du roman policier de Pescara au mois de mai, et une Summer school en septembre à Roma 3.
Mais le plus gros reste à faire, surtout du côté de l’élaboration du projet et de sa caractérisation. Les financements locaux qui ont permis la tenue du workshop d’Aix-en-Provence et qui vont permettre les trois séances du séminaire ainsi que la participation au festival et la Summer school ne seront pas suffisants à pérenniser le projet sur la longue durée. C’est pourquoi le développement du projet scientifique, la consolidation du réseau et la caractérisation de ses objectifs doivent aller de pair avec la recherche et le choix de (ou des) appels nationaux et européens vers lesquels le réseau devra se tourner. Le caractère, le calendrier et les points forts des appels que nous connaissons sont détaillés en synthèse dans les pages suivantes.