Submorphologie et épistémologie – Journée d’Etudes – 1er juin 2018 9h – 18h
Journée d’études
EA 854 – LICOLAR
(LInguistique COmparée des LAngues Romanes)
Aix-Marseille Université
EA 4327 – ERIMIT
(Équipe de Recherche Interlangues : Mémoires, Identités, Territoires)
Université Rennes 2
Submorphologie et épistémologie
(dans les langues romanes) :
réflexions autour des protocoles d’approche et d’analyse
Les propositions d’intervention (avec titre + résumé de moins de 500 mots + bibliographie) sont à envoyer à stephane.pages@univ-amu.fr et chrystelle.fortineau@univ-rennes2.fr avant le 15 mars 2018.
Les responsables de l’axe Licolar : S. Pagès & S. Saffi
« Le grand changement survenu en linguistique tient précisément en ceci : on a reconnu que le langage devait être décrit comme une structure formelle, mais que cette description exigeait au préalable l’établissement de procédures et de critères adéquats, et qu’en somme la réalité de l’objet n’était pas séparable de la méthode propre à le définir. », Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1966, p. 119.
Si la linguistique du signifiant et la psychomécanique du langage ont trouvé un second souffle à travers la submorphologie, qui a approfondi l’analyse du signe en isolant des unités en deçà du morphème, cette nouvelle approche n’en soulève pas moins de multiples questions :
– alors que l’analyse en submorphèmes est une (quasi-)évidence pour les chercheurs travaillant sur des langues « exotiques », en particulier lorsqu’elles sont uniquement orales, cette approche, lorsqu’elle s’applique à des langues décrites de longue date, se heurte aux résistances d’une partie de la communauté des linguistes. La tradition grammaticographique n’est-elle un obstacle que vis-à-vis de l’extérieur (difficile acceptation de la démarche submorphémique par la corporation) ou n’est-elle pas aussi source de difficultés pour l’analyse submorphémique elle-même ? Dans quelle mesure les catégories grammaticales ou linguistiques existantes, en jouant le rôle de filtres, empêchent-elles de « voir » certaines analogies ?
– on peut observer que les différentes approches creusant le sillon de la submorphologie proposent chacune des termes propres pour désigner ces unités minimales sécables en amont du morphème : phonesthème, cognème, saillance, racine, notion, trait, etc. Or, une telle variation terminologique n’implique-t-elle pas une différence de conception de ces hyposignes ou hypomorphèmes, autres désignations possibles de ces sous-unités ? Un cognème, par exemple, peut être constitué d’un trait sans qu’il y soit pour autant réductible comme c’est apparemment le cas pour les submorphèmes dans les langues sémitiques selon les études lexicales de G. Bohas.
– on n’accède manifestement pas au submorphème par la méthode traditionnelle de la phonologie, la commutation, qui permet d’identifier le phonème. Pourtant, sans qu’il n’y ait unanimité sur ce point, d’aucuns s’accordent à considérer qu’un submorphème doit rentrer dans un jeu d’oppositions distinctives, c’est-à-dire dans un système. Or, à ce jour, quelle méthode empirique permet de dégager, en submorphémie, un ensemble d’unités qui puissent s’ériger en une véritable systématique ?
– pour affermir sa démarche, la submorphologie a fait de la charpente phonique du langage l’un de ses soubassements majeurs ce qui n’évacue pas pour autant le problème et la question du sens (le signifié ?) qui revient en force notamment à travers les termes « invariant notionnel », « schème mental », « instruction psychique », « substrat cognitif »… associés à des traces signifiantes. Ce qui pose comme autre vaste question la place à accorder dans cette démarche à l’analogie entre ce qui relève des gestes articulatoires concrets (donc a priori objectivement descriptibles) et ce qui leur est associée comme représentation matérialisable censée être partagée par une communauté linguistique à un moment donné. Les concepts de phonème et de traits distinctifs, par exemple, ne constituent-ils d’ailleurs pas de véritables pierres d’achoppement ? Et que penser de la prégnance dans la formation des hispanistes français de descriptions phonétiques largement inspirées des travaux de T. Navarro Tomás, certes remarquables, mais dont certains points sont aujourd’hui remis en question, notamment parce que les progrès techniques permettent des descriptions plus fines des réalisations phonétiques ? L’utilisation d’une nomenclature phonétique en partie obsolète n’est sans doute pas sans conséquence sur l’analyse submorphémique.
– enfin, puisque la submorphologie fait intervenir des éléments propres à la psycholinguistique – le signe étant considéré comme un stimulus impliquant des simulations motrices –, il est sans doute difficile de faire l’impasse sur les connaissances liées à l’acquisition du langage ainsi que sur l’éclairage que peuvent apporter les neurosciences, sans perdre de vue toutefois que la linguistique fait résolument partie des sciences de la culture.
« […] l’attitude du linguiste à l’endroit du langage » disait G. Guillaume « […] est une attitude de curiosité. Il s’en propose, par une première tension de curiosité, une connaissance de l’ordre du voir (qui fait concevoir) ; et par une seconde tension de curiosité, une connaissance de l’ordre du concevoir faisant voir. »[1]
L’objectif de cette journée d’études est donc précisément de mettre la méthode d’approche de la submorphologie à l’épreuve d’un regard critique, ouvert à la discussion, afin d’essayer de mieux voir en submorphémie, car il est clair que ces sous-unités minimales signifiantes engagées dans un acte sémiotique mais situées à un niveau pré-sémantique et donc sans doute pré-conscient, constituent, pour le linguiste, un véritable défi méthodologique et heuristique.
Chrystelle Fortineau-Brémond & Stéphane Pagès
[1] Gustave Guillaume, « Observations et explication dans la science du langage », Langage et science du langage, Paris, Librairie Nizet, 1973, p. 273.