Le Projet Territoires hétérogenes

Les territoires hétérogènes du roman policier

 

Porteur : C. Milanesi, D. Barrientos Tecún et S. Lojkine

Laboratoires : CAER, Cielam

PROJET CRISIS 2016

29 avril 2016

Un genre hybride

L’axe « Roman Policier » du CAER développe depuis 2012 un programme de recherche intitulé Les territoires hétérogènes du roman policier. Ce programme est centré sur l’étude des transformations que le genre a connues au fil des dernières décennies dans les littératures européennes – italienne, espagnole – et latino-américaines. En effet, si le roman policier se caractérise à l’origine par une forte codification du genre, il est en même temps marqué, dans toutes ses évolutions, par une constante remise en question de ses formes conventionnelles. Les transformations et les hybridations du genre ont constitué une réponse, ou tout du moins une adaptation, aux défis sociopolitiques du monde contemporain. Les thèmes même des textes canoniques du polar — la justice, l’exigence du retour à l’ordre — deviennent problématiques.

Un prestige paradoxal : littérature noire et littérature blanche

Or, au moment même où le genre est attaqué dans ses fondements, il sort de la paralittérature et est consacré comme un genre littéraire canonique, désormais cultivé par des auteurs prestigieux de la littérature « blanche » et comme un objet d’étude pour la critique académique et universitaire ; en même temps, le genre a évolué vers une dimension globalisée et multimédiale (bande dessinée, roman graphique, séries, cinéma). Son public est hétéroclite, et son horizon d’attente peut aller de la recherche du loisir à celle des principes d’explication des dysfonctionnements des sociétés et des systèmes politiques. Dans nombre de cultures littéraires, le genre est devenu le support de la mémoire refoulée et le vecteur de multiples interrogations sociétales et politiques.

Déterritorialisation du policier

Si le genre modifie ses codes, les stratégies et les structures narratives qui lui sont propres (l’enquête, le crime, le détective…) investissent à leur tour d’autres genres (la nouvelle, la poésie, le théâtre), selon un processus de déterritorialisation qui est une marque de l’inscription du genre dans la postmodernité. Étudier les « territoires hétérogènes du roman policier » implique alors de prendre en compte d’autres genres avec lesquels le polar entre en relation : la science-fiction, la non fiction et la mise en récit des théories du complot. La transmédialité s’inscrit également dans ce phénomène de globalisation du genre. La pratique du genre comme production de série et de masse d’une part, comme espace d’expérimentation pour des auteurs reconnus et prestigieux d’autre part, bouscule la répartition traditionnelle entre un style « haut » et un style « bas », entre une culture savante et une culture populaire.

Origine et globalisation

La déterritorialisation du policier ne touche pas seulement les frontières du genre : elle affecte les frontières géographiques et brouille, hybride les traditions culturelles nationales, ouvrant la voie à une sorte de transnationalité des récits. Les genres populaires sont devenus le support de la globalisation littéraire, et le roman policier est au centre de ce mouvement. A leur tour, ces territoires nouveaux du policier interrogent l’origine du genre dans les différentes traditions littéraires, l’évolution ou la spécialisation de ses topiques selon les identités locales et/ou nationales, l’émergence de ses ressorts constitutifs, le crime et l’enquête comme moteurs de la fiction. Ces questionnements rejoignent une partie des objets de recherche du CIELAM : naissance d’une littérature sérielle à la fin des Lumières (groupe 16-18), interculturalités littéraires, notamment dans le contexte des littératures migrantes (groupe Transposition), réflexion sur le canon littéraire et sur l’extension du domaine des lettres (groupe 19-21).

Possibilités de coopération au sein de la Fédération CRISIS

Ce projet s’inscrit dans le cadre de l’axe 2 : Création populaire et créativité la Fédération CRISIS . Si le programme, dans le cadre du CAER, a été initialement circonscrit à l’aire culturelle romane – Italie, Espagne, Amérique Latine – il s’ouvre progressivement depuis 2015 à d’autres aires : la France par le CIELAM, la Chine par IRASIA, l’Allemagne et la Hongrie par ECHANGES, et en principe il peut s’étendre aussi à la Grande Bretagne et aux Etats-Unis par le LERMA, et à la production graphique et cinématographique par le LESA. D’ailleurs, des journées d’étude sur les origines du genre en France, en Italie et en Espagne ont déjà eu lieu en 2015 et 2016 ; le webmagazine La Parole aux humanités et le Grand Séminaire de la Maison de la Recherche Roman Crime Justice, en mars 2016, ont reçu les écrivains Volker Kutscher (Allemagne) et He Jiahong (Chine), tous deux confrontés à cette déterritorialisation du genre qu’ils pratiquent, avec pourtant un ancrage fort dans leur histoire et leur culture nationales.

Programme de travail

L’objectif est triple :

  1. développer le travail avec les auteurs du genre, une expérience qui a déjà été mise en place dans le cadre du CAER et du Grand Séminaire Roman Crime Justice.
  2. constituer un réseau de recherche dans le domaine de la création populaire et contribuer par ce champ d’étude et ce réseau au renouvellement des thèmes et des outils de la théorisation dans les domaines de la critique littéraire, de l’anthropologie culturelle et des représentations sociales.
  3. ouvrir le corpus vers la réflexion sur le genre de l’Europe et des EEUU vers la prise en compte les autres traditions dont les pays du sud : Amérique latine, Afrique, Asie.

 

 

 

Sur le cadre européen, Le projet de recherche ici présenté s’articule au projet Creative Europe CODES Crime and the Other: Decoding the European Scene. Popular Fiction and the new narratives of migration Le crime et l’autre. La fiction populaire et les nouveaux récits de la migration (AMU Caer Cielam Lesa avec les Universités de Milan, Manchester et Cork, 2017-2020, budget 200.000€), soumis en 2015. Le projet a été classé actuellement en liste d’attente. Travail commun entre chercheurs et artistes (écrivains, metteurs en scène). Humanités numériques : archives digitales de la narration noir et de la représentation de l’Autre; production de nouvelles narrations, et notamment des nouvelles narrations des migrants, une vision « autre » de l’Autre.

 

L’organisation d’un atelier (appel à projets workshops UFR de septembre 2016) constituera une étape préalable nécessaire pour définir les contours du projet. Pour ce faire, on pourra s’appuyer sur le réseau de collaborateurs et de partenaires qui s’est constitué depuis le lancement du programme des « territoires hétérogènes » : conventions internationales avec l’Université Nationale Autonome du Mexique, UNAM, l’Universidad Industrial de Santander, Bucaramanga, et l’Università Statale de Milan.

 

En avril 2017 se tiendra  à Aix-en-Provence le Congrès international annuel de la SATOR (Société d’analyse des topiques romanesques, http://satorbase.org) sur le thème Roman rose – Roman noir. La SATOR se propose d’étudier les topoï du roman français et étranger jusqu’à 1800. Le présent colloque ouvrira cependant un second volet concernant le roman moderne et contemporain, qui permettra de s’interroger sur les origines, les filiations et les hybridations de la littérature noire, dans ses rapports avec la pulp fiction. Ce voisinage du rose et du noir est une histoire ancienne : insertion de la matière lyrique dans le tissu épique du roman médiéval, voisinage de l’histoire tragique et de la nouvelle galante à l’époque moderne, héritage de Richardson et de Rousseau dans le roman gothique puis dans le roman feuilleton… Le repérage des filiations topiques devrait à la fois permettre de mettre en évidence la circulation entre culture savante et culture populaire dans la représentation des thèmes roses et noirs et de dégager les phénomènes de déterritorialisation du topos quand ces thèmes passent d’un genre ou d’une aire culturelle à une autre. On pourra ainsi envisager la globalisation de la production littéraire non comme un processus unique et contemporain dont le polar serait en quelque sorte l’accomplissement, mais comme une tendance toujours à l’œuvre, avec des objectifs et des résultats divers, dans une histoire mondiale de la fiction qui reste à faire.